TANG YIN et QIU YING

TANG YIN et QIU YING
TANG YIN et QIU YING

Parmi les nombreux peintres de Suzhou au XVIe siècle, Tang Yin et Qiu Ying, par leur personnalité, leur mode de vie et leur production artistique, se situent quelque peu en marge. À côté des influences de l’école de Wu et des maîtres Yuan, ils acceptent aussi certains critères du courant académique et développent, à partir de ces sources éclectiques, une manière personnelle.

Tang Yin: une carrière brisée

Tang Yin naît à Suzhou dans un milieu modeste de commerçants. En 1485, il est brillamment reçu aux examens de la préfecture, puis en 1497 à ceux de la province. Considéré très tôt comme un jeune génie, il est protégé et admiré par des hommes comme Shen Zhou, Wu Kuan et Wen Lin, le père de Wen Zhengming dont il est l’ami. Son tempérament, ses dons font de lui un extroverti.

À vingt-huit ans, Tang Yin part pour la capitale passer l’examen d’État qui doit lui ouvrir les portes de la haute bureaucratie gouvernementale. Arrivé à Pékin, il mène grand train en compagnie du fils d’un homme riche. Peu doué, ce dernier va soudoyer le serviteur de l’examinateur en chef, qui lui communique les sujets. L’affaire est ébruitée et les deux jeunes gens emprisonnés. Tang Yin, qui n’a pu établir son innocence, est privé de tous ses titres académiques.

Très humilié, il rentre à Suzhou. Pour lui, tout un univers s’écroule. Rejeté par sa femme, méprisé par beaucoup d’anciennes connaissances, il devient cynique, se plaît à choquer les gens et se met à boire. La vie de lettré lui est interdite. Sa situation modeste le contraint à mener une existence bohème; il vend ses peintures quand il a besoin d’argent, allant oublier l’amertume de sa dégradation dans les auberges et chez les courtisanes, pour le lendemain transcender par la méditation chan ses lamentables débauches. Ce parangon de vertu qu’est Wen Zhengming lui conservera néanmoins toute sa vie son amitié.

En 1501, pour secouer sa dépression, Tang Yin part visiter les paysages du Zhejiang, du Fujian, du Hunan et du Sichuan. Il voyage à peu près un an, jusqu’à l’épuisement de ses forces.

À la fin de sa vie, cette nature sensitive trouvera quelque consolation dans le bouddhisme chan .

Une œuvre aux multiples facettes

Artiste de génie, Tang Yin représente à la fois l’école de Wu (ses œuvres spontanées) et la tradition académique de Li Tang à travers Zhou Chen (env. 1450-env. 1535). Lettré et poète, il dut aussi œuvrer en tant que peintre professionnel, produisant des compositions décoratives pour les bourgeois de Suzhou. Ce sont ses études en couleurs de jolies femmes dans le style Tang et ses peintures érotiques qui valurent à Tang Yin, comme à Qiu Ying, une grande popularité. Les deux artistes ont su rendre au genre un sens de la mesure dans la technique et dans le goût. Des copies et de nombreuses gravures seront exécutées à partir de leurs œuvres et influenceront l’art de l’Ukiyo-e au Japon.

Étant donné sa courte vie et le grand nombre de peintures qui nous sont parvenues, il faut supposer que Tang Yin travaillait avec une extraordinaire facilité. Artiste isolé, il ne créa ni école ni principes nouveaux; mais ses meilleures œuvres comptent parmi les plus attachantes de l’époque Ming. Ses plus anciennes œuvres datées sont de 1506: ce sont des paysages, incluant parfois des personnages, inspirés de Li Tang, avec des rochers aigus et des rides faites au pinceau appuyé. Cette manière de jeunesse apparaît vite trop schématique et restrictive à Tang Yin, qui va donner très tôt une transposition plus libre de la manière de Li Tang.

Tang Yin utilise souvent une technique impressionniste du pinceau pour rendre la résonance de la vie (qiyun ), dans ses paysages comme dans ses études de fleurs et d’oiseaux. Ces peintures perpétuent des impressions fugitives recueillies dans les jardins de Suzhou et sont accompagnées parfois de courts poèmes. Parmi ces souvenirs spontanés de moments heureux se place la peinture de l’Académie de Honolulu, qui doit dater de la fin de la vie de Tang Yin: une mince branche d’arbre fruitier en fleurs s’incurve au-dessus de la hutte où un homme est assis en méditation; à côté de lui, sur la natte, brûle de l’encens. Peut-être s’agit-il d’un autoportrait. La peinture est faite au pinceau émoussé. Le toit de chaume, les colonnes, les rochers et les points sont exécutés dans la manière dite «encre brisée», qui consiste à séparer la touffe de poils et donne des lignes tracées comme avec un balai et des points très duveteux. L’œuvre a la fraîcheur et l’abandon d’une vision notée spontanément. Les formes esquissées émergent d’une lumière douce de fin d’après-midi, à travers le parfum de l’encens.

Le rouleau du musée de Stockholm, Préparation du thé , daté de 1521, met l’accent sur les deux personnages, le paysage ne servant que de cadre. L’un des hommes veille sur le petit fourneau qui porte la bouilloire, l’autre attend, quelques livres à ses côtés; des objets simples – un brûle-parfum, un vase avec une branche fleurie, une jarre – complètent l’arrangement pour cette cérémonie du thé organisée dans un jardin. À partir de ces quelques éléments et des montagnes qui s’estompent au loin, Tang Yin a évoqué l’intimité d’une soirée calme entre deux hommes assis en silence, écoutant le bruit de l’eau dans la bouilloire.

La production de Tang Yin est inégale, variable, fascinante par ses surprises et par ses éclairs inattendus. Au contraire de Wen Zhengming, qui cherche toujours la représentation objective, Tang Yin, lorsqu’il peint deux lettrés assis autour du thé, le fait en touches légères, pour suggérer un instant privilégié, et réussit à exprimer l’impalpable d’une impression. Tang Yin est aussi le maître de la lumière, du pinceau rapide, des variations sur des thèmes différents. Le rouleau des Grands Lettrés (musée du Palais, Formose) est un exemple de cette versatilité technique. Trois lettrés et leur serviteur dans un jardin sont évoqués par des lavis pâles d’encre dans la manière fluide de Liang Kai. Ce rouleau est le dernier d’une série de quatre représentant le même sujet dans des styles différents. Dans sa spontanéité et son humour, cette peinture exprime, avec l’être profond de Tang Yin, le «parfum d’antiquité» (plutôt que les apparences de l’antiquité) que recherchaient les maîtres Yuan. Les traits aigus, acérés, l’opposition des vides et des pleins, la façon typique de couper et de présenter une section de paysage ou de scène sur un rouleau horizontal sont remarquables.

Qiu Ying, un artiste mésestimé

Né près de Shanghai dans une famille pauvre, Qiu Ying commence à gagner sa vie comme ouvrier laqueur. Venu à Suzhou, où il est l’élève de Zhou Chen, il se fait bientôt remarquer par ses dons et entre dans le cercle des plus grands peintres.

N’étant ni poète ni calligraphe, Qiu Ying sera célèbre pour la délicatesse de son pinceau, le raffinement de ses œuvres et son habileté à copier les maîtres Tang et Song. Les lettrés lui reprocheront d’être méticuleux au point d’ajouter des pattes lorsqu’il peint un serpent. En fait, les copies médiocres de ses œuvres ont nui à sa réputation et n’ont fait voir en lui qu’un artiste patient et industrieux, dépourvu d’imagination. Ce jugement est faux. Les peintures authentiques de Qiu Ying montrent au contraire un créateur sensible, un esprit inventif, doué d’une excellente technique.

C’est aux figures féminines, aux scènes de palais dans le goût ancien, aux paysages archaïsants que Qiu Ying devra sa célébrité, et c’est l’aspect de son œuvre qui sera le plus copié. Il a insufflé une vie nouvelle aux styles anciens et a su rendre à la peinture professionnelle une élégance «lettrée», le respect de l’exactitude et de la clarté dans la représentation.

La manière de Qiu Ying apparaît plutôt dans certaines petites peintures à l’encre, comme le paysage du musée de Boston, qui doit dater de la première partie de sa carrière. Du haut d’un pavillon, une jeune femme contemple la vue sur la rivière. Celle-ci occupe tout le haut de la composition et dégage un sentiment de solitude triste qui rappelle Ni Zan. L’ensemble est rendu avec une économie de moyens et une simplicité magistrales.

Plus «lettré» apparaît le rouleau vertical Jouant du qin et du pipa dans un jardin (musée du Palais, Formose): par un jour d’été, deux lettrés se sont réfugiés à l’ombre des bananiers et de hauts rochers; l’un gratte un pipa , l’autre écoute, un qin posé à côté de lui. Légèrement en retrait, un jeune domestique dispose des fleurs dans un vase en bronze. La prédominance des tons bleus et verts souligne la fraîcheur de l’endroit, les rochers du premier plan, au modelé rude et sombre, évoquent l’isolement. Les personnages sont dessinés au pinceau fin et les rochers rappellent ceux de Li Tang. Dans cette peinture fluide, rapide, insouciante, Qiu Ying rejoint Tang Yin, avec peut-être moins de profondeur, mais avec une étonnante maîtrise technique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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